jeudi 17 octobre 2013


Des pompes funèbres et des cimetières consacrés aux animaux. Etrange ? Si outre-Atlantique, ou chez nos voisins allemands et anglais, les pratiques funéraires animalières sont courantes, elles restent en France plus méconnues et peu comprises par la société. Au-delà de l’attachement de l’homme pour son compagnon, ces comportements sont aussi révélateurs de notre propre rapport à la mort.

"Un seul être nous manque, Clarence 1972-1985", "Mon bébé, ma Béba, je t'aimerai toute ma vie". Des épitaphes gravées sur des stèles, des silhouettes se recueillant, le croassement des corbeaux, ce cimetière ressemble à tant d'autres. Les tombes minuscules, souvent garnies de photos et de figurines, révèlent l'identité des pensionnaires. Ce lieu n'est pas si ordinaire, Clarence et Béba sont enterrées dans un cimetière pour animaux.

La notion d'animal de compagnie prend son sens au XVIIIe siècle avec l'adoption de petits chiens par la noblesse. Le XXe siècle marque, lui, la démocratisation du phénomène auprès de toutes les classes sociales. Les animaux ont quitté l'espace public, sont entrés dans nos maisons et "leur rapport avec l'homme s'est modifié", explique Véronique Servais, anthropologue de la communication à l'université de Liège, en Belgique. Un foyer français sur deux possède un animal de compagnie, 90% de la population le considère comme partie intégrante de la famille (Ipsos, 2004). Consultation chez le vétérinaire, alimentation de qualité, toilettage, jouets sont autant de soins prodigués à nos 63 millions fidèles compagnons, dont 18 millions de chats et chiens. A leur mort, se pose la question du devenir de la dépouille de l'être aimé.

“Personne animale”
Les propriétaires se tournent généralement vers le vétérinaire. Il conseille, présente les différentes options. Avant tout, il existe des obligations sanitaires. Jusqu’au XXe siècle, les cadavres des animaux étaient mis aux ordures ménagères, jetés dans les fossés, enterrés dans des champs. Pour des raisons de salubrité publique, l’équarrissage est alors devenu obligatoire et les animaux transformés en farines. La crise de la vache folle en 1996 a modifié cette pratique.

Aujourd’hui, les familles ont le choix de faire incinérer leur animal, de façon collective ou individuelle, de les enterrer dans leur jardin - à condition de respecter la réglementation en vigueur - ou de les inhumer dans un cimetière animalier. Des rites et une sémantique associés habituellement aux êtres humains. Y a-t-il confusion entre l’homme et l’animal, quelle est la place de ce dernier dans notre société ? Pour Véronique Servais, son statut n’est pas tout à fait clair.




Les pratiques funéraires permettent de donner du sens à l’attachement des propriétaires et de marquer la singularité de leur compagnon en tant que “personne animale.”  “Ce sont dans les interactions qu’il peut y avoir des ressemblances. Les gens sont stigmatisés car ils parlent à leur chien ou l’appellent mon bébé. Mais ils font bien la différence avec un être humain”, souligne l’anthroplogue. Une recherche menée par l’une de ses étudiantes montre que cette distinction se retrouve dans la préférence des propriétaires pour l’inhumation dans le jardin. Faute d’en posséder un, les cimetières animaliers apparaissent comme une alternative.

En France, il en existe une vingtaine. Dont le “cimetière des chiens” d’Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine) qui, malgré son nom, accueille toutes sortes d’animaux : chevaux, hamsters, cochons d’inde, chats et autres singe ou poule. Construit à la fin du XIXe siècle, il est le plus vieux et le plus grand d’Europe, avec près de 1 000 tombes. Le site est inscrit depuis 1987 pour son “intérêt à la fois pittoresque, artistique, historique et légendaire”. Mais pour les propriétaires des animaux enterrés, il est avant tout un lieu de recueillement et de mémoire.



Frontière entre le monde des morts et des vivants, le cimetière matérialise la perte. Les épitaphes sur les tombes, le soin apporté à la majorité d'entre elles et les témoignages de Reynald et Dany révèlent une relation intime avec l'animal. Ils traduisent aussi "une continuité dans cette relation. L'affection portée à son compagnon ne s'arrête pas au moment de sa disparition", explique le comportementaliste Eric Bonnefoi.

Spécialiste de la relation homme-animal, et particulièrement de l'espèce canine, il travaille sur les liens affectifs. Une approche psychologique qui l’amène à conclure de "la nécessité de faire le deuil" pour certains. Une étape indispensable pour traverser cette épreuve, la surmonter puis s'affranchir de cette absence. Si l'affection et les différents soins portés à un animal lors de son vivant sont dans l'ensemble bien intégrés et acceptés par la société, qu'en est-il de ce sentiment de tristesse et de cette douleur ?



Personnalisation et accompagnement
Selon Eric Bonnefoi, le deuil d’un animal suit “ les étapes de choc, de tristesse et d’acceptation” et s’apparente ainsi au deuil humain. Bien qu’il “soit généralement plus court ”, nuance Véronique Servais. Cette phase se traduit par la mise en place des pratiques funéraires. Plus marginale, la taxidermie existe aussi. Le taxidermiste François Loss, au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), indique que si son activité est essentiellement orientée vers la chasse et l’histoire naturelle, “15 % des commandes concernent des animaux de compagnie”.  “C’est avant tout un désir de redonner une deuxième vie à son animal, de le conserver auprès de soi. Savoir si le propriétaire réussit à accepter sa disparition est difficile à juger”, affirme-t-il.

“La pratique la plus demandée est l’incinération individuelle ”, révèle Laurence Raigneau, fondatrice de Dignami, à Boulogne-Billancourt (Hauts-se-Seine). Créé il y a deux ans par cette trentenaire, ancienne cadre marketing, ce service de pompes funèbres est consacré uniquement aux animaux. On en trouve une petite dizaine en France, un nombre dérisoire par rapport aux Etats-Unis qui en possèdent dans chaque grande ville. C’est d’ailleurs auprès d’une société américaine qu’elle s’est formée à ce métier.

Son chiffre d’affaires reste encore modeste mais le nombre de demandes ne cesse de progresser. Laurence Raigneau organise en moyenne une vingtaine d’incinérations et un ou deux enterrements par mois. Les tarifs varient selon l’animal et la prestation : 255 euros la crémation d’un chat, 290 euros celle d’un chien - de 600 à 2 000 euros un enterrement, selon la qualité du cercueil, l’inhumation en pleine terre ou dans un caveau, et le prix de la concession.

La particularité de ses services repose sur la personnalisation - adaptation des demandes, préparation de l’animal, salon de recueillement - et l’accompagnement. Véritable maîtresse de cérémonie, elle coordonne les différentes étapes et soulage le propriétaire dans ses démarches et sa tristesse. Valérie Sauce, coiffeuse de 42 ans, en couple et sans enfant, a perdu son chihuaha Bigoudy il y a trois mois. Elle a choisi de l’incinérer et a confié les funérailles à Dignami.



Relation classique ou fusionnelle, comme Valérie et Bigoudy, tout type d’individu peut être amené à offrir des obsèques à son animal. Mais ces pratiques funéraires ne sont pas toujours comprises par la société ni acceptées par les proches. A l’instar de la propriétaire de Bonbon* qui, lors de notre visite au cimetière d’Asnières, n’a pas souhaité témoigner, de peur d’être reconnue par ses fils : “J’ai enterré mon chien en cachette. Mes enfants jugeaient cette décision farfelue et trop coûteuse.”

Dimension sociale
Les personnes endeuillées se retrouvent souvent seules face à leur chagrin. “ On dit souvent qu’elles en font trop. Si on en reste là, on s’en tient uniquement à une interprétation psychologique. Il est dommage de ne pas lier le psychologique à une dimension sociale, de savoir où se trouve la société lorsque l’on parle de la mort”, commente Nadia Veyrié, sociologue et chercheuse à l’université de Caen.



Les pratiques mortuaires chez les humains ne sont plus normées ni encadrées de façon systématique. “Ce n’est pas fédéré au niveau d’une culture, d’une société. C’est fragmenté, chacun dans son coin”, explique-t-elle. La vie moderne tend à diminuer le temps consacré au deuil. Comme l’illustre les quelques jours accordés par les entreprises à leurs salariés lors du décès d’un proche. Offices religieux ou laïcs, diversité des cultes, des croyances sont autant de variables pour envisager et organiser des funérailles. Au “tous égaux devant la mort”, inculqué par des siècles de religion, succèdent de nouvelles tendances où les obsèques se diversifient.

Isabelle Plumereau est directrice associée des pompes funèbres l’Autre Rive, dans le 14ème arrondissement de Paris. Si “la mort se cache” aujourd’hui - la majorité des personnes meurent en milieu hospitalier, il est interdit  de déplacer un cercueil visible en ville, toute procession doit être autorisée par la préfecture de police... - “les cérémonies sont davantage axées sur la personnalité du défunt”, déclare cette ancienne communicante dans l’événementiel. Cercueils et urnes design, célébrations dans un lieu particulier, discours des proches, choix de la musique et du décor, voire feux d’artifices ou dispersion des cendres du haut d’une montgolfière. La commémoration tend davantage à célébrer la mémoire et l’identité du vivant devenu défunt. Cette personnalisation conduit à la multiplication des pratiques funéraires et à leur individualisation chez les hommes.

Du côté du monde animalier, aucune étude scientifique n’a démontré l’existence de rites funéraires ni de conscience de la mort. Cimetières d’éléphants ou de fourmis, oiseaux se cachant pour mourir relèvent du phantasme humain et s’expliquent, selon l’éthologie, par des comportements propres à la survie de chaque espèce. Seuls quelques épisodes sont identifiés comme pouvant être de l’ordre de “la souffrance liée à la perte du lien”, précise Véronique Servais. “Ce n’est pas pareil que la conscience de la mort en tant que telle, en tant qu’abstraction”, conclue-t-elle. Les pratiques funéraires animalières restent une affaire d’hommes.


Dominique Sée et Alexandra Luthereau

* Le nom a été modifié